Cette série rend hommage à des jeunes femmes entre dix-huit et vint-cinq ans, aux parcours de vie résiliants. Dans cette période complexe du passage à l’âge adulte, où d’autres adolescents, plus chanceux, se construisent, avec le soutien de leurs parents, elles ont toutes fait l’expérience traumatique, d’une situation de rupture et de précarité, dans l'enfance, ou juste avant l’âge charnière de 17 ans.
Malgré les déménagements répétés, dans les foyers, les familles d’accueil, parfois un passage dans la rue ou encore un recours à la prostitution pour certaines, malgré les violences verbales et physiques, elles avancent et se reconstruisent. une fois majeur, elles sont nombreuses à dénoncer la sortie sèche de l’Aide Social à l’Enfance, à l’âge fatidique de dix-huit an-et-un-jour. Ces jeunes femmes m’ont touchées. Elles sont toutes a mes yeux des Héroïnes.
Héria, 20 ans.
« Mon papa était malade, nous avons été expulsés de notre logement quand j'avais seize ans. Mon père a demandé un placement à l’Aide Social à l’Enfance mais cela n’a pas été accepté car dans ma situation, il n’y avait pas de cas de maltraitance. A cette époque, mon père habitait dans des chambres d’hôtels mises à disposition par le 115. Comme il voulait le meilleur pour moi, il m’a placée dans la structure Etape Ado, qui est un foyer d’accueil d’urgence pour mineurs. Ils ont eu 48h pour me trouver une solution. J’ai ensuite été hébergée au Relais Parental de la Croix Rouge. Là-bas, j’ai reçu beaucoup d’amour et d’aide. J’ai fêté mes dix-huit ans dans la maison Relais, avec ma famille. Je me sens privilégiée d’avoir été si bien encadrée. Je sais que d’autres ont eu moins de chance.
Je poursuis maintenant, un BTS économique et social pour devenir éducatrice spécialisée. »
Fatou, 24 ans.
« J’ai vécu et vu beaucoup de violences au sein de ma famille. Au Sénégal, pendant deux ans, j’ai été enfant esclave, un enfant qui travaille. J’avais neuf ans. Arrivée chez ma mère, en France, l’ambiance était macabre. Je me suis vite retrouvée dans la réalité, dans la rue. J’ai essayé de faire du mieux que je pouvais. Je dirais que la rue m’a apporté une certaine maturité que les jeunes de mon âge n’ont pas, une certaine méfiance aussi envers l’être humain. Dans la rue, en tant que femme, on peut subir des attouchements sexuel, se faire voler, violer… Bref, j’ai vécu tout ça, mais ça m’a rendu plus forte. Aujourd’hui, je veux réussir et travailler dans le domaine des métiers de la mode. »
Audrey, 18 ans.
« Avec mon frère et ma soeur, on subissait beaucoup de violences à la maison. Une enquête a été menée et j’ai été placée en foyer. J’avais neuf ans. Je me suis sentie abandonnée. Maintenant, j’ai dix-huit ans, je veux faire une école pour devenir éducatrice et me spécialiser dans la protection de l’enfance. »
Laura, 20 ans, et Clem, 18 ans.
« J’ai été placée à l’âge de trois ans dans un Village d’enfants. Dans ma famille, il y avait beaucoup de violences conjugales. Mon père était alcoolique. Il est décédé quand j’avais cinq ans. Je n’ai pas beaucoup de souvenirs de lui, et je n’ai pas envie d’en avoir. Clem est arrivée au village, quand elle avait dix ans. On a constaté que l’on avait à peu près la même histoire. Son père aussi est décédé à cause de l’alcool. »
Camélia, 23 ans.
« A l’internat, une fille sortait avec un homme qui portait le même nom que mon père. Après enquête, le jour de mon 17ème anniversaire, j’ai découvert que c’était lui. Je l’ai rencontré, sauf que tout est allé trop vite pour moi. Dans son comportement, on aurait dit qu’il ne m’avait jamais abandonnée. Je n’ai pas réussi à accueillir cette relation. J’avais connu trop de ruptures. »
Caroline, 20 ans.
« J’ai été placée à l’âge de cinq ans. Dans ma famille, nous sommes une fratrie de huit. Nous avons été confiés à un Village d’enfants, pour continuer à grandir ensemble. Dans les Villages d’enfants, il y a environ six enfants par pavillon. Une mère SOS s’occupe de nous, elle est présente trois semaines, puis une aide familiale prend le relai pendant dix jours. Là-bas, j’ai eu le choix de la vie que je voulais mener. Ma mère est sourde et muette. Je ne sais pas ce qu’elle ressent, ni ce qu’elle pense. Elle parle le langage des signes. Moi, je l’ai oublié. »
Numidia, 18 ans.
« Mon père me violentait. Il m’interdisait d’avoir une vie sociale. Il disait que c’était pour mon bien. J’y ai cru car il agissait par amour. Mais quand, dans ma famille, j’ai vécu cette agression sexuelle, je me suis rendue compte qu’il ne me protégeait pas. J’ai porté plainte au commissariat de police. Le soir même, j’étais placée dans un appartement et je n’ai plus revu mes parents.
Maintenant j’ai l’autonomie d’une fille de vingt-cinq ou trente ans. Je ne comprends pas toujours les jeunes de mon âge, nous n’avons pas les même préoccupations. »
Chancelle, 25 ans.
« Cela fait deux ans que je suis au Centre d’Hébergement d’Urgence. J'ai été victime de violences. J’ai quitté le Cameroun en passant par la Turquie puis la Grèce. Je suis arrivée en France, à Metz. Comme j’étais toute seule et que je n’avais pas de famille, j’ai passé trois jours à la gare. J’ai dû faire confiance à une dame dans la rue qui m’a amenée chez elle. C’était une maison close. J’ai été forcée à me prostituer. Ils ont abusé de moi. Au bout de quelques mois, j’ai réussi à m’échapper. Je suis venue en Ile-de-France, mais le problème s’est à nouveau répété. J’ai rencontré un monsieur, qui a essayé de coucher avec moi par force. Un jour de chance, le 115 a répondu à mon appel. C’est grâce à cela que j’ai pu rencontrer mon éducatrice. »
Gabrielle, 21 ans.
« Petite, j’ai fait deux AVC. Le dernier m’a rendu hémiplégique, de tout le coté droit. Mon papa est décédé quand j’avais quatre ans, à la suite de violences conjugales. Ma mère, elle, se droguait à l’héroïne. De mes quatre ans à mes huit ans j’étais en foyer, ça a été l’enfer. Comme j’étais la seule handicapée, il y avait beaucoup de moqueries, de jugements, de viols. J’ai tout vécu, et tout le temps. Il n’y avait pas un moment, ou ça ne s’arrêtait. J’ai été violentée par les jeunes, mais aussi par les adultes. Comme j’étais handicapée, il fallait me doucher, et c’était très facile pour eux de dire qu’ils m’avaient lavé. Après mes huit ans, un jugement a été prononcé, et toutes les précautions ont été prises pour que je sois placée en famille d’accueil. »
Maeva, 18 ans.
« Mon père est en prison. Je vivais chez mes deux parents, mais mon père m’a fait quelque chose. Il a pris une peine de quinze ans. A mes seize ans, ma mère est partie vivre chez son copain, à six heures d’ici. Je suis restée avec ma soeur dans notre maison, mais cela ne s’est pas bien passé. Elle me reprochait l’incarcération de notre père. Je n’ai pas souvent été chez moi. A cette époque, je séjournais régulièrement dans une clinique psychiatrique. J’y ai passé les Noëls et mes anniversaires. Cela m’a beaucoup aidée. Reprendre l’école me parait trop compliqué maintenant. Je n’ai pas fini ma seconde. Mais j’ai quand même eu mon brevet.»
Medina, 20 ans.
« J’ai été placée petite, j’ai déménagé plus de quinze fois entre mes sept et mes dix-neuf ans. Ma mère, c’est compliqué, parce qu’elle me fait beaucoup de crasses. Je lui ai énormément pardonné. Mais maintenant, je ne peux plus. Elle a essayé de m’arranger un mariage forcé. Elle ne m’a pas cru quand je lui ai dit que mon beau-père me faisait des attouchements. Il s’est passé beaucoup de choses. Il y a eu beaucoup de mensonges. Elle ne m’a pas dit que mon père était vivant jusqu’à l’âge de mes onze ans. La première fois que je l’ai vu, je n’ai pas su comment réagir, il était handicapé psychologiquement. Je ne le savais pas. Ça m’a vraiment traumatisée. J’ai eu mon premier appartement à quinze ans. J’étais dans une nouvelle ville et je ne connaissais personne. Comme je ne faisais rien de mes journées, je me suis demandé ce que je pourrais faire pour gagner de l’argent. Je me suis dit que j’allais faire de la prostitution. Au début, je l’ai fait par petite période, après je l‘ai refait, à dix-sept ans et à… je crois que… c’est tout. A dix-huit ans aussi, je sais pas, je sais plus…J’étais mineure, mais je sais que tous les gens que je rencontrais étaient majeurs. Il y en avait qui avaient des cheveux blancs. Je ne demandais pas l’âge car je ne voulais pas être dégoutée. Je faisais des promos selon les saisons, pour les fêtes de Noël, je baissais jusqu’à 50%. »
Alissa, 26 ans.
« Je suis née à Saint Pétersbourg, en Russie. Ma mère m’a kidnappée à l’âge de cinq ans et nous avons suivi cet homme en France, sans que mon père ne puisse s’y opposer. Adolescente, j’ai réalisé que c’était un enlèvement, qu’elle m’avait privé du droit d’avoir un père. A ce moment là, je n’ai plus supporté de déménager à chaque fois qu’elle rencontrait un nouveau compagnon. Lors du dernier déménagement, j’ai décidé de ne pas la suivre, j’avais quinze ans. J’ai alors connu une situation d’errance. Je dormais parfois chez des amis, dehors, dans des halls d’immeubles, dans les trous des ponts à Nantes, dans des hôtels avec des inconnus. J’étais proche de tomber dans la prostitution. On m’a clairement fait des propositions que je pouvais considérer dans ma situation.
En mai 2020, je me suis rapprochée du département et j’ai co-monté la structure Repairs à Nantes. C’est une association d’entraide pour les anciens enfants placés. Nous faisons de la paire-aidante. »